Laboratory of Babel
Projet

Qui n’a jamais levé les yeux vers les étoiles dans la nuit noire en se sentant tout.e petit.e et en se demandant “y’a t-il quelque chose d’autre dans l’univers?”. Nous l’avons tou.tes ressenti au moins une fois, ce moment de plénitude. Et c’est certainement parce que la question des univers inconnus nous dépasse, qu’elle nous fascine tou.tes ; Lior Ben Gai, artiste numérique, est captivé par l’univers de la virtualité ; “Y'a-t-il autre chose ?” C’est une question qui le hante et à laquelle il pourrait bien trouver des réponses à travers ses recherches sur les comportements des programmes informatiques qu’il crée.
Premièrement, il nous faut un ordinateur ; objet physique bien réel que nous touchons, et qui sera notre portail vers ce nouvel univers. Une fois allumé, nous entrons dans un monde virtuel, et écrivons un programme informatique (ou code) ; il se présente sous forme de séquences d’instructions, comme une équation mathématique, et ordonne à l'ordinateur ce qu’il doit faire. Enfin, il se produit quelque chose de visible à l'œil nu.
Les programmes qui intéressent notre artiste sont ceux de la famille des “automates cellulaires”.
Ils ont la particularité de développer des comportements complexes, parce que chaque cellule réagit en fonction de sa cellule voisine, qui va réagir en fonction de sa voisine, etc. Puis on les laisse faire. Plus elles se multiplient, plus elles interagissent, ce qui les amène à adopter un comportement émergent complexe, semblable à celui des bancs de poissons ou des nuées d'oiseaux. Mais ces comportements ne proviennent pas du code, ils émergent de l’interaction entre les cellules. En d’autres termes, rien ne dit aux cellules d'agir comme tel, elles finissent par devenir indépendantes.


Si ce type de comportement complexe a été identifié auparavant (Craig Reynolds, Boids, 1986), Lior a l'intuition qu’il y a quelque chose d'autre à découvrir. Il concoit alors une nouvelle syntaxe de code qui lui permettra de créer des structures abstraites et d'en changer les aspects esthétiques comme il l’entend.
Au lieu de faire une simulation de ces comportements, il s’est amusé à modifier les paramètres pour voir ce qu’il se passe, et ce sont de tout nouveaux types de comportements qui ont émergé de ses expériences. Jamais vu avant, c’est un univers de comportements infini qui se cache derrière les pixels de nos écrans ! A partir de ce moment, ses recherches ont commencé à trouver leur sens, et Lior, la motivation de continuer à concevoir les outils qui nous permettent d’explorer ces mondes.
Ses études se complexifient quand il essaye d’inciter les programmes à s'épanouir. Il se voit même comme un agriculteur, plutôt que de créer systématiquement de nouvelles espèces de comportement, il passe son temps à cultiver ceux qui existent déjà et les incite à se développer. Plus les comportements sont complexes, plus ils deviennent intéressants ; il s’agit de voir un groupe de cellules interagir avec son environnement jusqu'à évoluer en écosystème.

Au cours d’une de ses expérimentations, certaines cellules se sont montrées capricieuses, et n’ont grandi que quand Lior leur a accordé l’attention nécessaire, par exemple en passant du temps avec sa souris sur l'écran. D’autres fois, il est même allé jusqu'à assembler des programmes, croisement duquel est née une nouvelle espèce de programmes, et ainsi de suite.
On pourrait facilement les assimiler à de nouvelles espèces naturelles ; d'où la création d’une mini série de documentaires animaliers ludiques où on peut observer ces créatures virtuelles, évoluer dans leur environnement naturel, sur fond de voix off.
Les fruits de son travail, Lior cherche à les transmettre de plusieurs façons à tous ceux qui souhaitent contribuer ou créer ; “utomata” est un programme à utiliser comme un outil d’exploration, pour lequel des tutos seront bientôt disponibles. Mais le mastodonte, c’est son Laboratoire de Babel. Directement inspiré de la nouvelle de Jorge Luis Borges “La biblioteca de Babel”, il cherche à créer une plateforme d’observation, à l'image d’un vaste bazar virtuel, dans lequel il va répertorier et archiver tous les comportements existants ou en devenir, repérés dans les programmes informatiques.
Dans la lignée de Christopher Langton, Lior agit pour un futur plus poétique de la science ; L’informatique devrait être utilisée pour explorer ces comportements émergents, pas seulement pour la simulation et la résolution de problèmes… Il est même plutôt à l’aise avec le fait que ce ne sont que des lignes et des points qui se baladent sur un écran. Cette forme de détachement lui donne la possibilité d’explorer tous les comportements possibles et imaginables dans un espace infini et d'étudier “la vie telle qu’elle pourrait être". (C. Langton, Artificial Life, 1989).
En ce sens, Lior se positionne en tant qu’artiste plutôt que scientifique, car il ne cherche pas à expliquer ces phénomènes. D’ailleurs il ne cherche pas non plus à les mettre en œuvre de façon pratique. Ces structures existent de façon à part entière, et évoluent dans un monde virtuel infini.

Alors, y a -t-il autre chose ?
Grâce aux ordinateurs, nous pouvons à la fois donner un sens au monde qui nous entoure, et ouvrir la porte à un univers de phénomènes accessibles et largement inexplorés. Comme d’autres avant lui, Lior sent qu’il y a quelque chose à découvrir et à exploiter dans ces programmes informatiques.
Il y a un univers parallèle juste là, entre nos mains, avec des possibilités de construire un futur différent, et dont Lior compte bien faire partie.
Artiste
Lior Ben Gai
Projets
Laboratory of Babel
Utomata
Artiste

“Si vous n’aimez pas ce que vous faites, essayez autre chose!". Cette phrase pourrait être la devise de Lior Ben Gai.
Il lui aura fallu pas moins d’une décennie avant de trouver sa voie, tant son parcours est atypique et semé d’heureux accidents. Quasi sans diplômes, mais quasi architecte, formateur, freelance aventureux, conférencier, Lior est littéralement un touche à tout!
Il a su faire preuve de curiosité, d'optimisme, et d’audace ; attitudes qui l’ont mené jusqu'à son doctorat de recherche en arts numériques.
Rappelons que son travail porte sur l’univers des programmes informatiques : un langage sous forme de série de chiffres et de symboles. Pour tous ceux qui ont vécu les mathématiques comme un cauchemar à l’école, la simple vue d’un code pourrait nous faire grimacer. Cela a pourtant été le cas du jeune Lior, qui collectionne les mauvaises notes en maths, ce qui le pousse à quitter le lycée avant de passer son BAC.
Cet événement ne l'empêche cependant pas de réfléchir à son métier idéal, une discipline qui puisse satisfaire son côté technique, et stimuler sa créativité. À 22 ans, Lior obtient enfin son diplôme, et se tourne vers l’architecture, plein d’espoir. Il excelle dans certaines matières, et échoue dans d’autres, mêlant sentiments de satisfaction et de frustration ; Il porte un intérêt inexpliqué pour les plans, les modélisations 3D, et les outils numériques. Après 2 ans d’études, il quitte l’architecture, et se lance dans l’animation de formations Adobe Flash.
Pour approfondir ses connaissances sur le logiciel, il s’inscrit lui-même aux formations, mais se trompe de groupe, et se retrouve dans un cours de niveau avancé. Cette erreur s’avère être une véritable révélation puisqu'au terme des 2 mois de formation, Lior sait enfin ce qu’il veut faire : de la programmation informatique.

Maintenant freelance, il parfait ses compétences, en acceptant toutes sortes de missions, et en apprenant sur le tas. Il adopte une méthode audacieuse : il répond oui à toutes les propositions, et ensuite s'auto-forme aux nouveautés auxquelles il sera confronté pendant le job. Pendant 5 ans, il enchaîne des postes pour lesquels il se positionne entre technique et création.
Ce n’est qu’en 2014 qu’il prend son courage à deux mains et postule à la Goldsmiths University de Londres ; Il entame un Master au cours duquel il découvre un article de C. Langton sur la Vie Artificielle - c’est un coup de foudre. Il décide de s’y consacrer en continuant ses études en doctorat. Il se réconcilie avec les maths en comprenant leur vraie nature, plus abstraite ; elle ne consiste pas seulement à effectuer un calcul comme nous le faisons à l’école, mais plutôt de convertir des valeurs en passant d’un monde numérique à un monde réel, et vice versa. Lior avait besoin d’un cadre de travail dans lequel se développer, et le trouve enfin ici. De plus, il est conforté dans sa décision de rester à Goldsmiths quand, du jour au lendemain, on lui offre un poste de conférencier associé qu’il garde pendant 3 ans.
Toutes ces années dans l’enseignement ont permis à Lior de gagner en confiance. Plutôt que de chercher la reconnaissance, il choisit de militer en faveur de la démocratisation de la programmation à tous publics.

Lior vit maintenant à Tel Aviv, où il s’épanouit en tant qu’artiste numérique. Il continue de travailler sur son doctorat à distance, tout en enseignant à l’université de Shenkar - Engineering, Design, Art. En parallèle, il collabore sur un projet de Musée de la Science en plein air, pour le Weizmann Institute, avec une équipe composée de scientifiques, d’artistes, programmateurs, et designers. Leur principal challenge est de faire le pont entre les faits scientifiques et l’expérience physique des visiteurs. Lior s’implique alors dans son domaine favori : la création d’un langage de programmation pour le grand public, tous âges confondus. Ce dernier projet est un point d’orgue; Il réunit tous les critères, compétences et savoirs acquis durant ces 10 ans de joyeux capharnaüm.
Bien que douloureuse, sa décision de quitter l’architecture fut certainement la meilleure de sa vie à ce stade ; en se libérant du conditionnement pour les études, Lior a pu s’accepter comme un généraliste (sans spécialisation), privilégier et se nourrir des expériences vécues.
En parfait autodidacte, si Lior pouvait nous donner un conseil, il nous dirait “Tout ce que vous apprendrez, toutes formes d’expériences, ne seront jamais perdus“.
Artiste
Lior Ben Gai
Projets
Laboratory of Babel
Utomata
Perspectives

Il fut un temps où se spécialiser n'était pas si important, car il était courant de mélanger les disciplines en fonction de ses besoins.
Prenons Antoni van Leeuwenhoek ; célèbre drapier d’Amsterdam, qui pour la bonne marche de son entreprise, voulait s’assurer de la qualité de ses étoffes, en comptant le nombre de fils dans les tissus. En 1668, il créa un instrument doté d’une petite lentille polie qui lui permettait de voir des objets jusqu’à 300x agrandis. Curieux, il se mit à regarder tout ce qu’il pouvait avec son microscope et découvrit une multitude d’animaux minuscules partout, devenant ainsi le père de la biologie cellulaire. En étudiant ces nouvelles trouvailles, il fit une découverte majeure qui bouleversa le cours de l’histoire.
Bien que moins formelle, l’exploration est un aspect important de la science ; il faut être capable de se positionner au-delà des limites scientifiques et écouter son intuition. Lior n’utilise pas son ordinateur comme un outil de simulation, mais comme une passerelle vers un autre univers. Et c’est sans complexes qu’il se positionne entre science et art, s’efforçant de construire un pont entre les deux approches ; l’une s'appuie sur les savoirs et outils tandis que l’autre cherche à explorer les territoires inconnus. Si notre éducation scolaire nous apprend à séparer ces démarches, Lior nous encourage à les unir.
Souvent, lorsque les artistes s'emparent du domaine scientifique, ils ouvrent la voie de la démocratisation des outils ; les pionniers de la musique électronique dans les années 1960 étaient des ingénieurs. Après la seconde guerre mondiale, ils se sont retrouvés avec du matériel de haute technologie. Donc si vous vouliez créer un morceau de musique électronique, il vous fallait un diplôme d’ingénieur. Mais si comme Lior vous étiez curieux et enthousiaste, vous n’aviez pas besoin de formation initiale. Aujourd’hui, nous pouvons créer n'importe quelle musique depuis notre ordinateur avec un logiciel. Lior imagine un avenir semblable pour son domaine ; la recherche sur les systèmes de comportements complexes reste entre les mains des scientifiques pour le moment, mais grâce à la création d’outils tels que utomata, les artistes viendront enrichir cet univers, pour in fine, lui donner la possibilité de s’étendre au reste du monde.

La réalité virtuelle se profile à l’horizon, nos écrans sont plus grands, nos appareils plus connectés, nos empreintes numériques ne cessent de croître.. Nous craignons l’intelligence artificielle, grande star de la science-fiction, modélisée à l’image de l’humain et toujours plus performante. Pourtant, elle fonctionne par la résolution de problèmes, et est utilisée à des fins de simulation, contrairement aux créations de Lior. Lui, préfère se projeter dans un monde où la science fusionne avec le design et l’art génératif ; ces pratiques s’apparentent à son approche. Elles consistent à laisser des programmes créer des œuvres de façon autonome, et d’en explorer les alternatives, en fonction de paramètres pré-enregistrés, ou non.

Selon Lior, voilà un exemple de futur envisageable, dans une perspective où les technologies ne cessent de se développer. Nous passons déjà une partie de notre réalité dans des espaces virtuels, et pour le moment, cela ressemble encore à du support papier. Au fur et à mesure que la frontière entre ces espaces s’amincit, la réalité virtuelle prendra une autre forme, et ces mondes auront besoin d’être peuplés, grâce à de nouveaux outils.
Alors si encore aujourd’hui nous portons un regard admiratif sur un personnage tel qu’Antoni van Leeuwenhoek, il est fort probable que les générations futures en fassent de même pour Lior Ben Gai.
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